Moi simple humaine, j’ai mangé de la viande et bu du lait pendant la majeure partie de ma vie.
Moi simple humaine, j’ai pendant le même temps, soigné mes chiens, mes chats, mon cheval, avec tendresse et attention, car j’aime les animaux.
Moi simple humaine, je ne pensais pas à remettre en question la norme en vigueur autour de moi, norme employée par ma famille, mes amis, la société entière à laquelle j’appartiens.
Moi simple humaine, j’ai croisé un jour par hasard le regard d’un veau apeuré, brutalisé par un homme au visage grimaçant. Énervé par les résistances du petit, l’homme l’a attaché très court à un poteau, puis a brûlé la naissance de ses cornes au fer rouge; j’ai vu les soubresauts du petit corps se tordant d’effroi et de souffrance. Ça a tordu mon coeur de simple humaine; j’ai continué à ne rien changer à ma vie. Puis j’ai un autre jour reçu en pleine figure la photo d’un poussin au bec coupé presque à raz, clignant des yeux de douleur, muet, impuissant, mutilé. J’ai commencé à me sentir honteuse. Cette honte s’est aggravée quand j’ai vu des employés indifférents empoigner à la chaîne des petits cochons roses, vulnérables, innocents, et leur couper successivement en quelques minutes la queue au sécateur, les canines à la tenaille, leur arracher les testicules puis les reposer dans leur caisse hurlants et terrifiés. Le jambon m’a soudain paru bien sanglant malgré sa tendre couleur…
Moi simple humaine, incapable d’affronter des choses aussi impensables, je me suis réfugiée tout d’abord dans l’idée qu’elles n’existaient pas. Qu’elles n’existaient pas vraiment, je veux dire. Qu’elles n’étaient pas habituelles. Il ne pouvait pas me venir à l’esprit qu’une société toute entière puisse fermer les yeux sur des pratiques aussi barbares, ni qu’elle puisse les cautionner; il devait bien y avoir quelque part des gens qui s’emploient à ce qu’elles n’existent pas… Papa, ne m’avais-tu pas dit que les animaux ne souffraient pas, qu’ils étaient bien traités… Maman, je revois ton visage quand tu posais une délicieuse blanquette de veau sur la table, tu étais si fière de toi, tu attendais les compliments, ce n’est pas possible que cette chaude ambiance familiale ait pu procéder de tant de douleurs?
J’ai eu besoin d’en avoir le coeur net. J’ai pris de mon temps, j’ai cherché, des vidéos, des articles, des livres… Chemin faisant j’ai rencontré d’autres personnes qui s’étaient posé les mêmes questions, qui avaient fait les mêmes recherches, qui avaient trouvé des réponses.
Même les sites officiels de l’agriculture française révèlent (avouent?) que désormais dans notre pays, l’élevage est pour sa majeure partie aux mains des industriels. Dans l’élevage industriel les animaux n’ont pas de nom; ils ne s’ébattent plus au grand air; ils sont entassés, contraints, mutilés, jusqu’à leur dernier souffle qui est sans doute une délivrance. Pour la majeure partie d’entre eux, les derniers pas, ceux qui les emmènent vers la mort, gravissant avec peine le pont d’un camion, sont en fait aussi les premiers hors de leur prison.
Moi simple humaine, je n’ai plus su quoi faire. Je suis passée par tous les stades: "Mais l’homme est omnivore"… "Les protéines"… Que faire… Les carences? les traditions, les habitudes, mon enfance, les souvenirs… La norme, les amis, le regard des autres?… Et puis j’ai vu d’autres images. Les chiffres effroyables; près d’un milliard d’animaux à sang chaud tués en une année en France. Les abattoirs fonctionnent nuit et jour. Les corps suppliciés, pendus tête en bas par une pâte, clignant encore des yeux parfois et mugissant pendant que le sang leur inonde la figure… Même les "BIO"; bio qui veut dire "vie"…
Alors je n’ai plus pu. J’ai regardé mes dents de simple humaine, j’ai vu qu’elles n’avaient rien en commun avec celles d’un lion, d’un tigre ou même d’un ours (omnivore!). J’ai vu que mes molaires avaient des tables plates, pour broyer des céréales et non pas briser des os. J’ai vu que mes canines ridicules n’avaient rien de "crocs"; mais qu’elle me permettaient de casser des noix. Que mes incisives par contre savaient croquer dans les fruits.
J’ai compris que les protéines animales ne sont rien de plus que les protéines végétales, pour la bonne et simple raison, que tout le monde peut comprendre, qui est que le bétail lui-même les trouve dans son alimentation. Que le calcium est un produit de la Terre, et non pas des vaches.
Moi simple humaine et mère de famille, je me suis trouvée dans mon supermarché habituel, déambulant perplexe caddy à bout de bras; "aujourd’hui, c’est poulet, demain ce sera gigot" : ça ne se remplace pas aussi facilement…
Puis finalement si ! Il faut juste un peu d’imagination et quelques conseils; je suis entourée de simples humains qui ont des recettes, des idées aussi et aujourd’hui mon alimentation est presque la même qu’avant: j’ai juste dû apprendre quels aliments végétaux étaient le plus protéinés: ce sont les mêmes que ceux du bétail: les céréales, (mais moi j’en fait des pizzas, des gratins, des boulettes aux épices), et les légumineuses, avec leur cortège de saveurs et leur absence de gras. Je ne manque de rien, ni de protéines ni de fer ni de B12; j’ai retrouvé ma taille et ma vitalité de jeune fille. Tout le reste, soupes de légumes, salades composées etc, j’en mangeais déjà de toute façon très souvent (pas vous?).
Je suis en paix avec moi même, mais en guerre contre l’injustice qui perdure.
Je suis une simple humaine, femme sur la planète-mère ************
Michèle Végé